Crise de l’Église : « Au temps de l’épreuve, c’est le moment de s’appuyer encore plus sur le Christ ! »

Sœur Alexandra, qui a fait sa thèse de théologie sur l’Église. Elle a reçu le prix Henri de Lubac en 2009.

Le pape François a convoqué à Rome jusqu’au 24 février les présidents de conférences épiscopales du monde entier pour réfléchir aux mesures concrètes à mettre en œuvre en matière de prévention des abus sexuels sur les mineurs et les adultes vulnérables.
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Dans ce contexte de crise de l’Église, Il est vivant! a rencontré Alexandra Diriart, sœur apostolique de Saint-Jean depuis 27 ans, qui a fait sa thèse de théologie sur L’Église corps du Christ dans la vision du cardinal Journet et de Lumen Gentium (Ses frontières sont la charité, DDB, Paris 2011).

Beaucoup de nos contemporains disent : « Jésus oui, l’Église non ! » Et encore plus avec les révélations d’abus de pouvoir et sexuels… Que leur répondre ?

Tout dépend ce qu’on entend par Église. Quand on dit cela, c’est qu’en général, on pense seulement à l’institution. Mais si on pense que l’Église, ce sont les membres du Christ qui ont été sauvés dans son sang et qui sont animés par l’Esprit Saint, dire non à l’Église, c’est dire non au Christ. Le cardinal Journet aimait bien distinguer trois regards sur l’Église :

– Le regard du sociologue : une institution qui est faillible, avec une histoire glorieuse et moins glorieuse ;

– Le regard un peu plus pénétrant qui reconnaît la valeur de l’Église comme instrument de civilisation et de culture ;

– Et enfin, le regard de la foi qui discerne le mystère de l’Église comme Corps du Christ habité et mû par l’Esprit Saint. Le regard de la foi, voit, par-delà le caractère humain de l’Église, une réalité plus profonde, le travail de la grâce dans le cœur de l’homme, le mystère de l’incarnation : Dieu qui en Jésus vient habiter notre pauvre humanité pour la transformer petit à petit.

C’est donc avec ce regard de la foi que l’on peut affirmer dans le Credo : « Je crois en l’Église sainte », alors même que l’on en voit les nombreuses faiblesses ?

Si l’Église est ce mystère du Christ qui vient, par l’Esprit Saint, habiter dans le cœur de l’homme, alors ses frontières ne se déterminent pas par rapport à un extérieur et à un intérieur. Pour le cardinal Journet, ses frontières passent par nos propres cœurs. Elles délimitent en nous ce qui est déjà de l’Église (ce qui est déjà animé par l’Esprit Saint, la charité), et ce qui en nous est encore de l’ordre du péché, des ténèbres et tout ce qui doit encore être converti (et qui n’est pas encore de l’Église, parce que pas encore assimilé au Christ).

L’Église, en tant que corps du Christ, ne peut être que sainte puisque le corps du Christ est saint. L’Église est donc sainte mais elle n’est pas sans pécheurs. De plus, toute la sainteté et la charité qui se déploient dans le monde appartient déjà au Christ et forme donc l’Église. À l’inverse, ce qui est encore en nous de l’ordre du péché, ce n’est pas l’Église entendue comme mystère. Le problème, c’est que dans le cœur des pécheurs que nous sommes, il y a beaucoup de zones très obscures qui n’ont pas encore été visitées par la grâce. Notre péché est opaque et empêche la lumière de resplendir. Le cardinal Journet explique la visibilité de l’Église comme un mystère de transparence. Il s’agit de nous laisser prendre par l’Esprit Saint pour devenir de plus en plus transparents au mystère du Christ. Quand cette transparence ne se fait pas, ce qui se manifeste, c’est le péché et les scandales qui obscurcissent le visage de l’Église, le déforment parfois complètement.

C’est pour cela que le pape François insiste tant sur l’urgence de la sainteté. La sainteté, c’est justement ce travail de transparence dans notre cœur qui laisse passer de plus en plus la lumière, qui est le Christ. La créature la plus transparente, c’est la Vierge Marie. En elle, nous comprenons ce qu’est le mystère de la pleine réceptivité à la grâce. Elle est tellement transparente à la grâce que tout le mystère de la sainteté de l’Église resplendit en elle.

Les saints, chacun selon son charisme propre, laissent passer cette lumière.

Soeur_Alexandra2

Mais finalement, qui est membre de l’Église ?

Il y a d’abord des membres déjà sauvés, tous ceux qui sont au ciel ; il y a aussi les membres de l’Église de la terre. D’abord les baptisés. Mais certains de ces membres sont comme morts, parce qu’ils ne se laissent pas irriguer par l’Esprit Saint. Coupés de la sève de vie, ils sont comme gangrenés. Et il y a aussi d’autres membres : toutes les personnes qui laissent passer en elles la charité. Tout acte de charité posé, c’est l’Église qui se rend visible. Le cardinal Journet dit que : « Là où est la charité, là est l’Esprit Saint et là où est l’Esprit Saint, là est l’Église. » Les frontières de l’Église, c’est donc la charité ! Mystérieusement, certaines personnes non baptisées se laissent conduire par l’Esprit Saint sans le savoir.

Quel est selon vous le plus bel apport du concile Vatican II sur l’Église ?

Il nous rappelle que l’Église est le mystère du Christ qui dépasse la compréhension sociologique que l’on peut en avoir. Avec toute cette palette d’images qui s’enrichissent et se répondent mutuellement, il nous donne à percevoir ce mystère du Christ qui se répand dans les âmes. Le Concile réaffirme par ailleurs la vocation universelle à la sainteté, et les deux sont intimement liés : c’est par la sainteté que resplendit le visage de l’Église.

« L’Église et le Christ, c’est tout un », a répondu Jeanne d’Arc à ses accusateurs en une formule géniale de simplicité. Mais comment en comprendre le sens ?

Dieu s’est rendu présent sur la terre par l’incarnation du Verbe et après sa mort, le Christ a voulu continuer à se rendre présent par sa grâce dans le cœur des hommes. Car c’est cela, le mystère de l’Église : c’est le Christ qui habite le cœur des hommes ! L’Église, disait encore le cardinal Journet, « c’est l’Évangile qui continue ». Il expliquait que le Christ a prêché et pleinement incarné les béatitudes car qui est le plus doux, le plus pauvre, le plus miséricordieux des hommes ? C’est Jésus. Et cette parole, elle continue à s’incarner en ceux qui veulent bien l’accueillir, les saints. Ils sont à leur tour pauvres de cœur, miséricordieux, etc.

Pourquoi est-ce si important pour un catholique d’aimer l’Église ?

Si le Christ a donné sa vie pour son épouse, l’Église, on ne peut que l’aimer. On peut souffrir de voir le péché de ses membres, de la voir défigurée, déformée. Il est normal de s’attrister. On aimerait tant que son visage resplendisse ! Mais constater le péché des membres de l’Église peut aussi résonner comme un appel personnel à la conversion. Car nous pressentons que sans la grâce, nous ferions peut-être encore pire !

L’Église est un mystère d’incarnation : elle s’incarne à travers notre pauvre humanité. Aussi, il y aura toujours, sauf en la Vierge Marie, une inadéquation entre le mystère du Christ et ce que l’Église et ses membres donnent à en voir.

Si on quitte l’Église à cause de tous les scandales, on court le risque de se mettre à détester ce pour quoi le Christ a donné sa vie : l’humanité pécheresse. Il n’y a qu’à observer dans les Écritures les apôtres au moment de la Passion : Judas qui trahit, Pierre qui renie, et tous les autres qui abandonnent Jésus… Et pourtant il continue à leur proposer le salut en donnant sa vie pour eux. Cela me console. Je me dis : « Rien de neuf sous le soleil ! »

Plus personnellement, qu’est-ce qui vous fait aimer l’Église encore malgré tout ce que vous avez pu voir, entendre, vivre, et peut-être même l’aimer encore plus que jamais ?

Il est vrai qu’ici, à Rome, une forme d’intensité dans la manifestation du bien et du mal est palpable. Parfois, on peut être très éprouvé dans sa foi. Mais c’est une belle occasion pour faire confiance à la parole du Christ : « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur l’Église. » Le Christ est vainqueur : la grâce est plus forte ! Au temps de l’épreuve, c’est le moment de s’appuyer encore plus sur le Christ.

Je comprends mieux aujourd’hui ce que signifie avoir la foi : c’est croire que la grâce est plus puissante que le mal en dépit de tout. Et si on est attentif on décèle aussi le mystère de la sainteté du peuple de Dieu et de tous ces prêtres et ces évêques qui servent fidèlement en donnant leur vie sans faire de bruit.

J’aime l’Église tout simplement parce qu’elle est ma mère, celle qui me donne le Christ, à travers les sacrements, mais aussi sa parole, ses liens de communion fraternelle. Et en cette période plus obscure, que ferais-je sans l’Eucharistie et sans le bain du pardon du Christ ? (Propos recueillis par Laurence de Louvencourt)

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– Le regard un peu plus pénétrant qui reconnaît la valeur de l’Église comme instrument de civilisation et de culture ;

– Et enfin, le regard de la foi qui discerne le mystère de l’Église comme Corps du Christ habité et mû par l’Esprit Saint. Le regard de la foi, voit, par-delà le caractère humain de l’Église, une réalité plus profonde, le travail de la grâce dans le cœur de l’homme, le mystère de l’incarnation : Dieu qui en Jésus vient habiter notre pauvre humanité pour la transformer petit à petit.

C’est donc avec ce regard de la foi que l’on peut affirmer dans le Credo : « Je crois en l’Église sainte », alors même que l’on en voit les nombreuses faiblesses ?

Si l’Église est ce mystère du Christ qui vient, par l’Esprit Saint, habiter dans le cœur de l’homme, alors ses frontières ne se déterminent pas par rapport à un extérieur et à un intérieur. Pour le cardinal Journet, ses frontières passent par nos propres cœurs. Elles délimitent en nous ce qui est déjà de l’Église (ce qui est déjà animé par l’Esprit Saint, la charité), et ce qui en nous est encore de l’ordre du péché, des ténèbres et tout ce qui doit encore être converti (et qui n’est pas encore de l’Église, parce que pas encore assimilé au Christ).

L’Église, en tant que corps du Christ, ne peut être que sainte puisque le corps du Christ est saint. L’Église est donc sainte mais elle n’est pas sans pécheurs. De plus, toute la sainteté et la charité qui se déploient dans le monde appartient déjà au Christ et forme donc l’Église. À l’inverse, ce qui est encore en nous de l’ordre du péché, ce n’est pas l’Église entendue comme mystère. Le problème, c’est que dans le cœur des pécheurs que nous sommes, il y a beaucoup de zones très obscures qui n’ont pas encore été visitées par la grâce. Notre péché est opaque et empêche la lumière de resplendir. Le cardinal Journet explique la visibilité de l’Église comme un mystère de transparence. Il s’agit de nous laisser prendre par l’Esprit Saint pour devenir de plus en plus transparents au mystère du Christ. Quand cette transparence ne se fait pas, ce qui se manifeste, c’est le péché et les scandales qui obscurcissent le visage de l’Église, le déforment parfois complètement.

C’est pour cela que le pape François insiste tant sur l’urgence de la sainteté. La sainteté, c’est justement ce travail de transparence dans notre cœur qui laisse passer de plus en plus la lumière, qui est le Christ. La créature la plus transparente, c’est la Vierge Marie. En elle, nous comprenons ce qu’est le mystère de la pleine réceptivité à la grâce. Elle est tellement transparente à la grâce que tout le mystère de la sainteté de l’Église resplendit en elle.

Les saints, chacun selon son charisme propre, laissent passer cette lumière.

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Mais finalement, qui est membre de l’Église ?

Il y a d’abord des membres déjà sauvés, tous ceux qui sont au ciel ; il y a aussi les membres de l’Église de la terre. D’abord les baptisés. Mais certains de ces membres sont comme morts, parce qu’ils ne se laissent pas irriguer par l’Esprit Saint. Coupés de la sève de vie, ils sont comme gangrenés. Et il y a aussi d’autres membres : toutes les personnes qui laissent passer en elles la charité. Tout acte de charité posé, c’est l’Église qui se rend visible. Le cardinal Journet dit que : « Là où est la charité, là est l’Esprit Saint et là où est l’Esprit Saint, là est l’Église. » Les frontières de l’Église, c’est donc la charité ! Mystérieusement, certaines personnes non baptisées se laissent conduire par l’Esprit Saint sans le savoir.

Quel est selon vous le plus bel apport du concile Vatican II sur l’Église ?

Il nous rappelle que l’Église est le mystère du Christ qui dépasse la compréhension sociologique que l’on peut en avoir. Avec toute cette palette d’images qui s’enrichissent et se répondent mutuellement, il nous donne à percevoir ce mystère du Christ qui se répand dans les âmes. Le Concile réaffirme par ailleurs la vocation universelle à la sainteté, et les deux sont intimement liés : c’est par la sainteté que resplendit le visage de l’Église.

« L’Église et le Christ, c’est tout un », a répondu Jeanne d’Arc à ses accusateurs en une formule géniale de simplicité. Mais comment en comprendre le sens ?

Dieu s’est rendu présent sur la terre par l’incarnation du Verbe et après sa mort, le Christ a voulu continuer à se rendre présent par sa grâce dans le cœur des hommes. Car c’est cela, le mystère de l’Église : c’est le Christ qui habite le cœur des hommes ! L’Église, disait encore le cardinal Journet, « c’est l’Évangile qui continue ». Il expliquait que le Christ a prêché et pleinement incarné les béatitudes car qui est le plus doux, le plus pauvre, le plus miséricordieux des hommes ? C’est Jésus. Et cette parole, elle continue à s’incarner en ceux qui veulent bien l’accueillir, les saints. Ils sont à leur tour pauvres de cœur, miséricordieux, etc.

Pourquoi est-ce si important pour un catholique d’aimer l’Église ?

Si le Christ a donné sa vie pour son épouse, l’Église, on ne peut que l’aimer. On peut souffrir de voir le péché de ses membres, de la voir défigurée, déformée. Il est normal de s’attrister. On aimerait tant que son visage resplendisse ! Mais constater le péché des membres de l’Église peut aussi résonner comme un appel personnel à la conversion. Car nous pressentons que sans la grâce, nous ferions peut-être encore pire !

L’Église est un mystère d’incarnation : elle s’incarne à travers notre pauvre humanité. Aussi, il y aura toujours, sauf en la Vierge Marie, une inadéquation entre le mystère du Christ et ce que l’Église et ses membres donnent à en voir.

Si on quitte l’Église à cause de tous les scandales, on court le risque de se mettre à détester ce pour quoi le Christ a donné sa vie : l’humanité pécheresse. Il n’y a qu’à observer dans les Écritures les apôtres au moment de la Passion : Judas qui trahit, Pierre qui renie, et tous les autres qui abandonnent Jésus… Et pourtant il continue à leur proposer le salut en donnant sa vie pour eux. Cela me console. Je me dis : « Rien de neuf sous le soleil ! »

Plus personnellement, qu’est-ce qui vous fait aimer l’Église encore malgré tout ce que vous avez pu voir, entendre, vivre, et peut-être même l’aimer encore plus que jamais ?

Il est vrai qu’ici, à Rome, une forme d’intensité dans la manifestation du bien et du mal est palpable. Parfois, on peut être très éprouvé dans sa foi. Mais c’est une belle occasion pour faire confiance à la parole du Christ : « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur l’Église. » Le Christ est vainqueur : la grâce est plus forte ! Au temps de l’épreuve, c’est le moment de s’appuyer encore plus sur le Christ.

Je comprends mieux aujourd’hui ce que signifie avoir la foi : c’est croire que la grâce est plus puissante que le mal en dépit de tout. Et si on est attentif on décèle aussi le mystère de la sainteté du peuple de Dieu et de tous ces prêtres et ces évêques qui servent fidèlement en donnant leur vie sans faire de bruit.

J’aime l’Église tout simplement parce qu’elle est ma mère, celle qui me donne le Christ, à travers les sacrements, mais aussi sa parole, ses liens de communion fraternelle. Et en cette période plus obscure, que ferais-je sans l’Eucharistie et sans le bain du pardon du Christ ? (Propos recueillis par Laurence de Louvencourt)

Il est vivant! n°242

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