« Le dialogue avec nos enfants
est primordial »
Aviez-vous réfléchi à la question de l’utilisation des écrans par vos enfants ?
Philippe Du fait de mon métier, je suis très sensibilisé aux sujets de cybersécurité. Je ne suis sur aucun réseau social. Marie, quant à elle, uniquement sur LinkedIn. Nous avons une certaine distance vis-à-vis de ces moyens de communication parce qu’on en connaît les biais et les limites. Nous sommes soucieux de transmettre cette prudence à nos enfants.
Marie Ce qui m’a toujours fait prendre de la distance par rapport aux réseaux sociaux, c’est avant tout la question du temps : je trouve que ces réseaux nous en font perdre énormément.
L’un et l’autre, nous utilisons beaucoup nos ordinateurs pour des raisons professionnelles ; en revanche, nous n’avons ni télé, ni tablette… Nous nous contentons de notre ordinateur et de notre téléphone.
Comment le sujet est-il survenu dans votre vie de famille ?
Philippe En 2020, lors du premier confinement (COVID), nos deux premiers enfants, en primaire d’abord, puis l’aînée au collège ensuite, ont eu besoin d’avoir accès à un ordinateur pour leur scolarité. Nous avons décidé de créer un compte à notre aînée sur l’ordinateur, mais sans qu’elle connaisse le mot de passe. De plus, par défaut, la machine est déconnectée d’Internet. Il faut que nous autorisions une certaine durée pour qu’elle puisse se connecter. Il y a donc une double sécurité.
Marie L’idée de ce contrôle parental était de pouvoir en discuter avec elle et que l’ordinateur et Internet ne soient pas en libre-service. Cela lui a permis d’apprendre à utiliser les écrans en fonction d’un besoin précis et dans un temps donné, et pour l’école.
Votre aînée grandissant, comment ce rapport aux écrans a-t-il évolué ?
Philippe Au collège, nous avons été confrontés à une forme de dualité entre notre désir de la protéger et la vigilance qu’elle ne soit pas isolée du fait de ces choix. Entre l’accès à l’ordinateur via les mails et la plateforme de l’établissement scolaire, et quelques échanges via le WhatsApp de Marie, nous avons trouvé une sorte de modus vivendi.
Marie Assez vite, nous lui avions créé une adresse mail pour qu’elle puisse communiquer avec ses amies de temps en temps. Et en fin de 3e, elle a eu accès à un petit portable familial 9 touches pour pouvoir organiser des sorties avec des amies (via SMS ou messages vocaux).
Philippe Ce téléphone n’était pas le sien et il n’était pas dans sa chambre.
Comment a-t-elle vécu ces restrictions d’accès ?
Marie La fin de la 3e a été un peu conflictuelle. Elle pensait qu’on ne voudrait jamais lui donner de téléphone mobile…
Philippe Lors du passage du collège au lycée, nous avons évolué d’une volonté de la protéger à un désir de la responsabiliser. Nous l’avons aidée à se décentrer de l’objet pour se concentrer sur ses usages, en lui expliquant : « L’usage que tu vas en avoir et le lieu où tu vas vouloir avoir ces usages vont conditionner le type de forfait et de téléphone à choisir, et donc le coût. » Elle a alors mieux accepté de rentrer dans cette démarche. On lui a par ailleurs demandé de lire La fabrique du crétin digital, de Michel Desmurget, et de nous en faire un résumé.
Marie Ce livre compile toutes les études scientifiques sur l’usage des écrans. Durant cet été, nous lui avons fait lire aussi des articles expliquant comment les réseaux sociaux fonctionnent et que leur objectif est de garder les gens captifs le plus longtemps possible afin de générer des revenus.
Philippe A la fin, elle nous a dit : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » On lui a répondu : « Réfléchis et explique-nous par écrit pourquoi tu veux un téléphone, pour quels usages, quelles sont les applications que tu souhaites télécharger et quelles sont les règles que toi, tu te fixerais. Et on te dira si on est d’accord ou pas. »
Marie Elle a trouvé cela un peu fastidieux. Mais pour nous c’était un préambule indispensable. Elle a donc accepté. À la fin de l’été, Nous avons réservé une soirée pour discuter de ces sujets avec elle.
Philippe Nous l’avons écoutée. J’ai pu lui montrer l’incohérence de certaines de ses demandes et nous lui avons demandé de revoir certains points.
Marie Cette discussion a été constructive et paisible. Elle nous a dit : « Je suis contente qu’on ait pu avoir cette discussion sans que je m’énerve ! »
Philippe Elle a compris que nous la prenions au sérieux.
Marie Nous avons de nouveau discuté avec elle un peu plus tard et avons fixé ensemble les règles d’utilisation du téléphone.
Philippe Nous avons ensuite réfléchi avec elle au forfait qui conviendrait. Quand elle a compris et admis qu’elle le financerait elle-même, elle a opté pour un forfait à petit prix.
Marie Nous avons ensuite recherché le téléphone qui pourrait convenir. On lui en a financé la moitié, et elle l’autre moitié. Pour le temps d’écran, nous lui avons proposé soit de le contrôler, soit qu’elle essaie de le gérer par elle-même. Elle a choisi la deuxième option et a pris l’habitude de regarder son temps d’écran. Si un jour, elle a passé plus de temps devant son écran, elle essaie de le diminuer le lendemain. Et nous faisons le point avec elle régulièrement.
Philippe Le téléphone est dans la cuisine et non dans sa chambre. Elle ne le prend que ponctuellement pour répondre à ses amies.
Avec quelques mois de recul, quel bilan dressez-vous ?
C’est très positif, et par chance, notre fille est d’une nature raisonnable. ¨