Efficacité évangélique – par Fabrice Hadjadj

A chaque fois que je contemple le Christ, je me dis que la communication de la Bonne nouvelle possède une étrange efficacité. Regardez-le à Capharnaüm. Admirez-le devant Pilate. Alors que la publicité tend à faire de nous des canetons qui viennent d’éclore, suivant la dernière tablette tactile ou le nouveau forfait illimité comme si c’était leur maman, l’annonce christique laisse son interlocuteur libre, renforce même sa liberté, et finit le plus souvent par être l’occasion d’une double méprise : tuer le témoin, ou en faire son idole terrestre. Ainsi les uns cherchent à couronner Jésus, et le voilà bien obligé de fuir ; tandis que les autres veulent le précipiter du haut d’un escarpement, et il passe au milieu d’eux. Or, si le Seigneur refuse toujours d’être fait roi, il accepte au final le couronnement d’épines (comme si ceux qui font de lui une idole étaient pires que ceux qui se contentent de le crucifier). Voilà la réussite de l’apôtre (sa palme). Et le chemin de la Croix apparaît comme la connexion la plus efficace.
Cependant, il ne suffit pas que votre discours ait suscité dans votre auditoire le désir de vous assassiner au plus vite, pour que votre tentative d’évangélisation puisse être considérée comme un grand succès. Hélas ! nous sommes si têtus que nous pouvons préférer mourir plutôt que d’abandonner un caprice. Se faire tuer pour une cause ne prouve rien en sa faveur. Peut-être même qu’il n’y a pas mieux pour la discréditer. Comme on est à bout d’argument, on se fait kamikaze. Pour ne pas avoir à faire marcher sa tête, on se la laisse couper (ô sang plus persuasif que l’encre !).
Mais l’apôtre est dans l’attention, non dans l’attentat. Il aime son ennemi. Il ne cherche pas à avoir raison contre. Au fond, il n’a aucune idée à défendre, seulement des visages à sauver. Et c’est pourquoi il court le risque d’une libre rencontre. Quoi de plus insupportable, cependant, que d’apprendre qu’on a un visage, quand on veut continuer de ne pas perdre la face ? (Ilestvivant!, numéro d’octobre 2012.)

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