Grégory Turpin: « C’est aujourd’hui qu’il faut aimer. »

(c) Claire Villemain
(c) Claire Villemain

“Dieu écrit droit avec des lignes courbes.” C’est un peu la vie de Grégory Turpin. Celui qui est devenu en quelques mois l’une des figures artistiques catholiques les plus connues est pourtant issu d’une famille assez anticléricale. Mais lorsqu’il quitte son village pour entrer au collège, le jeune Grégory découvre un autre visage de l’Église. Puis à quinze ans, les reliques de sainte Thérèse de Lisieux viennent jusqu’à lui. C’est la rencontre qui fait tout basculer.
À 18 ans, il entre au carmel de Montpellier. Sa santé le contraint à quitter le noviciat au bout d’un an. Il reprend ses études et travaille pour les financer : dans un supermarché le jour, en chantant dans des bars la nuit. Quelques maisons de disques le repèrent. Mais Grégory se laisse aller à des plaisirs dangereux : la drogue, l’alcool. La dépression ne tarde pas. Puis une nuit, Thérèse vient à lui une seconde fois. Le poème Mon chant d’aujourd’hui monte en lui comme une évidence : c’est maintenant qu’il faut aimer. Pour cela, vivre en Dieu en servant son Église. C’est le choix que Grégory pose très vite en se mettant à la disposition d’une aumônerie parisienne. En parallèle, il poursuit la musique et sort trois albums. En 2013, l’album Thérèse, vivre d’amour dont il est l’un des initiateurs avec le chanteur Grégoire est disque de platine. Désormais lancé, on ne l’arrête plus.
Claire Villemain
IEV Sans mettre de côté votre carrière, vous avez à cœur de développer, grâce à votre société de production, d’autres artistes chrétiens. Pourquoi ?
Grégory Turpin J’ai en effet créé mon label avec un associé, Ultreïa, du nom du chant des pèlerins de Compostelle (qui signifie « Aller plus loin, plus haut », ndlr). Ayant bénéficié d’une petite visibilité, je souhaite maintenant que d’autres artistes puissent toucher le grand public dans des styles différents, atteindre les jeunes là où ils sont, avec des artistes qui leur parlent.
IEV Et parmi eux, un certain Kodjo, dont l’album est sorti avant l’été…
GT J’ai rencontré Kodjo, un artiste formidable avec une histoire incroyable. Je me suis tout de suite reconnu dans sa démarche. Converti, il a fait le choix, après une carrière déjà bien entamée, de parler de Dieu dans ses chansons. Le rap, chez les catholiques, n’est pas encore assez connu ni répandu. Il y a en lui, derrière sa carrure imposante, une vraie bonté et une tendresse qui font de lui un grand frère pour ces jeunes qui perdent leurs repères.
IEV Quelles sont les orientations d’Ultreïa ?
GT En premier lieu, nous voulons vraiment soutenir les artistes. La musique tient donc la toute première place. Mais nous voulons aussi développer les projets avec les médias, notamment la télévision, développer les spectacles musicaux, mais pas seulement. Je rêve d’un « One man show » catho. Nous n’avons pas d’humoriste catho, et pourtant il y a de quoi faire !
IEV Pourquoi ? Les cathos ne savent pas rire ?
GT Je crois que nous souffrons d’un certain blocage, d’une tension qui fait que l’on a du mal à rire sans arrière-pensées. Quand on regarde Don Camillo, c’était drôle, bon enfant, et l’on savait se moquer de nous-mêmes ! Pourtant je crois que l’on a de bons comédiens, que les cathos ont une vraie expérience humaine, notamment grâce à l’accompagnement des familles, des couples, des jeunes. Il y aurait matière à rire, d’autant que l’on sait de quoi l’on parle (rires).
IEV Des spectacles avec des jeunes ?
GT Nous aimerions monter une Académie du spectacle à Paris. Mon désir est de trouver un lieu pour former des jeunes aux métiers du spectacle, et leur montrer qu’ils peuvent être missionnaires avec l’art en étant très compétents et professionnels dans les domaines de la musique, du chant, de la vidéo, du son, de la technique. C’est un peu ce que l’on a vécu avec les jeunes du Frat (rassemblement qui réunit chaque année à Lourdes les jeunes lycéens d’Île-de-France, ndlr) . On les a formés pour qu’ils fassent un album et animent un immense rassemblement comme celui-là, avec 10 000 jeunes face à eux. Ils ont réussi à sortir d’eux-mêmes, cela a marché. L’enjeu existe bien.
IEV Les jeunes sont présents dans beaucoup de vos projets. L’évangélisation de cette nouvelle génération est-elle l’orientation principale de votre démarche ?
GT En produisant au printemps dernier cet album du Frat, j’ai voulu saisir l’opportunité de promouvoir le talent, l’innovation et cette sorte d’avant-gardisme que les jeunes portent en eux. Nous avons aujourd’hui dans nos paroisses un vrai retard… On chante ce qui plaisait aux jeunes il y a quinze ans. J’aimerais tant que nous ne perdions plus de temps !
Un autre projet qui me tient à cœur est celui que nous sommes en train de mener pour les Œuvres Pontificales Missionnaires. À l’origine, les OPM France m’avaient demandé de composer un petit album pour enfants. Je n’avais jamais fait de louange, ce n’était pas trop mon truc. Mais cet album s’est fait et s’est plutôt bien vendu. Puis la responsable France est partie au Luxembourg. Je lui ai confié mon projet de faire un spectacle avec des enfants. L’idée a fait son chemin puisque nous avons rencontré à l’automne 2013 la responsable des OPM au dicastère de la propagation de la foi au Vatican. Celle-ci s’est montrée très enthousiaste, et nous a encouragés à sortir ce projet à grande échelle. Nous avons rencontré les responsables OPM de tous les pays d’Europe et nous leur avons proposé de leur fournir un kit qui leur permettra de créer eux-mêmes leur spectacle musical.
IEV Quel est le contenu de ce spectacle ?
GT Ce n’est pas un texte biblique, mais une histoire qui évoque des thèmes phares de la vie et de la foi. Ce spectacle se compose de plusieurs scènes, dont le personnage central est à chaque fois inspiré d’une figure biblique. Dans le kit, nous mettons à disposition les bandes-son, les décors, la mise en scène, le texte, des fiches pédagogiques pour préparer le spectacle, des outils pour la communication. L’inculturation du projet ira jusqu’à solliciter un artiste local pour enregistrer l’album. Tout ceci va se réaliser d’ici quelques mois dans plusieurs pays, partout en même temps. Pour la France, nous allons travailler par exemple avec l’équipe de Ze Bible, qui a une belle expérience dans le domaine de l’évangélisation des jeunes.
IEV Vous parliez également d’émissions dans les grands médias. Des projets en particulier ?
GT Outre les médias chrétiens (en l’occurrence un projet d’émission sur KTO), nous sommes en train de travailler plusieurs concepts d’émissions. En particulier, nous aimerions créer une émission historique pour parler de l’Histoire vue de l’intérieur d’une communauté religieuse, par exemple les cisterciens. Avec une émission très grand public, pouvoir à mots couverts faire quelque chose de pédagogique et revenir sur des idées reçues. Je pense à l’Inquisition bien sûr à propos de laquelle les fantasmes les plus invraisemblables sont véhiculés et nourris par la télévision.
Mais tout est très lent, il faut prendre patience.
IEV Comment définiriez-vous votre démarche ?
GT Je travaille beaucoup, mais mon but n’est pas d’occuper le terrain. Tout ce que je peux mettre en place, c’est pour le Christ que je le fais. Mon but n’est pas simplement de chanter, mais de trouver, par tous les moyens, la façon de rejoindre les jeunes et particulièrement ceux qui sont les plus loin de la foi. Si je signe aujourd’hui dans une grosse maison de disques (Universal, ndlr), c’est dans le but de toucher les jeunes qui ne connaissent pas Dieu.
IEV En cela, l’album Thérèse, vivre d’amour avec Grégoire a-t-il été un élément déclencheur ?
GT Cette aventure a été un tremplin incroyable, une professionnalisation de mon travail – car nous les chrétiens, on « bidouille » ! C’était pour moi une sorte de projet test. Que cela se soit passé avec Thérèse n’est pas un hasard, puisqu’elle a toujours été là dans les grands moments de ma vie. Je crois aussi qu’elle a, par ce projet, ouvert une nouvelle porte à travers laquelle, au départ, je ne voulais pas m’engouffrer.
IEV Pourquoi ?
GT J’ai le sentiment que lorsque l’on est chrétien, on se dit facilement : « Il faut que mon travail reste caché, que je ne me montre pas trop, sans quoi je risque de tomber dans l’orgueil, etc. » D’autant plus fort chez moi qu’au départ – et ce désir ne m’a pas quitté – je voulais devenir religieux et carme par-dessus le marché ! Rester caché, je voyais bien de quoi il s’agissait… Quand j’ai compris que je devrais aller devant, cela n’a pas été tout de suite facile. Pourtant je peux dire qu’aujourd’hui je trouve un véritable équilibre dans cette dualité intérieure partagée entre plaisir et arrachement. Ce n’est pas d’être une star qui m’intéresse, mais bien de faire passer le message du Christ. Une fois cela bien intégré, des montagnes se déplacent parce que l’on a trouvé la justesse qui nous permet de rester dans la vraie humilité.
IEV Et cette « vraie humilité », qu’est-ce que c’est ?
GT L’humilité n’est pas de se croire complètement bon à rien, mais au contraire d’être bien dans ses baskets en mettant son talent au service de la mission que l’on reçoit de Dieu.
IEV Selon vous, les grandes maisons de disques sont-elles réceptives au message de l’Église ?
GT Avec le succès que Thérèse, vivre d’amour a rencontré auprès des catholiques et du grand public, on a fait comprendre que les chrétiens étaient présents, qu’ils avaient envie que l’on parle d’eux et de leur message. Il se trouve que les maisons de disques s’intéressent à nous, non pas parce qu’il y a de l’argent à gagner, mais bien parce qu’elles trouvent que la qualité artistique est là. Ces grandes majors ne signeraient pas avec quelqu’un qui ne sait pas chanter ! Maintenant que je viens de signer avec Universal, nos projets artistiques vont passer dans une tout autre dimension…
IEV Face à cette profusion de projets, quels sont vos secrets pour « tenir » ?
GT Je me suis vite rendu compte que si je n’avais pas une vie extrêmement bien réglée, je ne pouvais pas tenir. Je travaille beaucoup, je me couche très tard. J’ai donc trois impondérables sans lesquels je n’arrive à rien : une vie de prière quotidienne, l’accompagnement, et la confession qui est le pilier de ma vie. Je suis très conscient de ma faiblesse, et mon parcours en témoigne par lui-même. Mais je suis pleinement convaincu que lorsque l’on témoigne – et chaque chrétien doit le faire –, si nous ne sommes pas en cohérence avec la miséricorde du Christ, nous ne pouvons pas évangéliser. On ne peut pas être témoin si l’on n’est pas miséricordieux. Saint Jean de la Croix disait qu’« un confesseur ne doit se choquer de rien ». Cela vaut aussi pour nous bien sûr… Si l’on est là à se choquer, à juger, à condamner, comment annoncer ? Si l’on a le devoir et le droit de dire des choses, nous avons aussi le devoir d’avoir un cœur miséricordieux, attendri devant l’homme que Dieu a créé. C’est pourquoi il est indispensable selon moi d’être accompagné et ne pas être seul à mener ma barque.
IEV Et votre prière ?
GT L’oraison est une vie intérieure, une vie de silence… C’est-à-dire à l’opposé de ce qui fait mon quotidien ! C’est bien sûr très difficile, c’est pourquoi je préfère prendre ce temps le matin. Je m’y contrains de manière très concrète, avec une heure et une durée précise, dans un lieu bien précis également. Le Seigneur vient nous visiter dans la régularité, il vient nous féconder à la mesure de notre fidélité. Cela se passe donc chez moi, après le rituel du réveil qui sonne, etc. Si à cause d’un rendez-vous, je ne peux pas prendre ce temps, il faut que j’aie déjà prévu quand je le prendrai dans la journée… Sinon c’est fichu, on commence à oublier une fois, puis deux. L’accompagnement spirituel permet de ne pas se laisser aller à la facilité. L’oraison, c’est accepter de se mettre sous le regard de Dieu tel que l’on est, ce qui nous fait forcément grandir dans l’humilité. C’est la seule manière d’avancer. « Que ta volonté soit faite », sinon cela n’a pas de sens.
IEV En vous retournant sur votre courte carrière, que voyez-vous ?
GT J’aurais souvent envie que les choses aillent plus vite ! Or à chaque fois que j’ai voulu accélérer le mouvement, quelque chose m’a ralenti. Tout s’imbrique petit à petit, le Seigneur sait ce qu’il fait. L’abandon à la Providence m’est sans cesse rappelé par les circonstances de la vie, et cela me convertit. « Tout vient à point à qui sait attendre… » Propos recueillis par Claire Villemain

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