Rencontre avec Philippe Haddad, rabbin : « L’enseignement de Jésus me permet de vivre mon judaïsme »

Le rabbin Philippe Haddad. © ULIF.

L’association Au vent des rencontres a proposé aux paroisses de Paris d’accueillir pour un soir un rabbin, dans l’esprit d’une meilleure connaissance mutuelle. Le succès a été au rendez-vous. Le rabbin Haddad, qui a participé à cette initiative, revient pour Il est vivant! sur cette expérience.

Que retenez-vous de l’expérience que vous avez vécue en allant à la rencontre des fidèles des paroisses parisiennes ?
La rencontre avec l’autre est l’idée fondamentale dans la Bible. Le projet de Dieu, c’est le projet de la fraternité – en hébreu, la fraternité se dit “coudre”. Cela signifie que l’amour du prochain (la fraternité) est la réalisation du royaume de Dieu, de son sanctuaire.
Après deux mille ans d’incompréhension, je vois le dialogue entre Juifs et chrétiens aujourd’hui comme une nouvelle chance, en quelque sorte comme un renouvellement de l’Alliance entre les hommes. C’est une bénédiction de Dieu.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
Cet accueil dans les paroisses d’une parole juive d’un rabbin qui vient communiquer avec des frères et des sœurs chrétiens, et d’être invité par des prêtres qui sont très fraternels, très accueillants.

N’avez-vous pas été choqué par certaines questions ?
Une seule fois, de la part d’une personne d’un certain âge qui avait un fonctionnement « pré-Vatican II ». Hormis cette question, les échanges ont toujours été très respectueux.

Quelle question est revenue le plus souvent, lors de ces échanges ?
La position du judaïsme par rapport à Jésus. Je donne ma réponse, mais qui n’est pas celle du judaïsme en général. Pour moi, Jésus est mon rabbi. Son enseignement me permet de vivre mon judaïsme. Je lis la Bible avec l’enseignement de Jésus. Cela éclaire ma lecture de la parasha (péricope de la semaine). C’est pour moi le ridoush (renouvellement de sens), en particulier le sermon sur la montagne. À travers l’enseignement de Jésus, c’est le souffle de Dieu que j’entends.
Jésus cherche toujours à nous remettre en marche. C’est le cas avec Lévi, par exemple, quand il lui dit : « Suis-moi. » Cela renvoie en réalité à l’appel d’Abraham. Se mettre en chemin, c’est pour moi suivre une dynamique de l’étude, de la prière et de la rencontre avec l’autre.

Vous partagez aussi, je crois, depuis de nombreuses années une lecture de la Bible et des Évangiles avec des chrétiens ?
Oui, je viens même de créer une chaîne Youtube qui s’appelle « Jésus Thora » où je vais proposer des lectures. Cela fait trois ans que je travaille Matthieu dans le texte avec des liens dans le Talmud, le midrash, la tradition orale, les Prophètes, etc. Les chrétiens me disent que cela donne du sens à leur propre foi. Cela leur permet de relire les textes, de revenir à l’hébreu ou l’araméen, la langue de Jésus.

Qu’est-ce que ces échanges vous apportent, personnellement ?
L’enseignement de Jésus est comme l’eau de vie, mais contrairement à ce qu’il répond à la Samaritaine, plus j’étudie la Bible ou les Évangiles et plus j’ai soif de cette parole.

Jusqu’où, selon vous, peut-on aller dans ce dialogue entre juifs et chrétiens ?
Ce dialogue peut servir en quelque sorte de modèle à de nombreuses personnes. Dans un monde où l’individualisme l’emporte, où chacun utilise les réseaux sociaux pour donner son propre point de vue, il permet des retrouvailles entre hommes, sans la barrière des machines ou de l’anonymat d’un pseudonyme. On revient à des rencontres authentiques entre hommes de bonne volonté. Cela a quelque chose de prophétique.

Au-delà de l’étude de la Bible, existe-t-il des actions communes, juifs et chrétiens, auprès des pauvres par exemple ?
Ponctuellement. Nous-mêmes mettons en place des actions communes avec une paroisse de Paris : une synagogue et une paroisse ensemble. Nous soutenons également l’association CoExister. C’est une manière de s’engager dans la cité.

Que dire aux chrétiens intéressés par ce dialogue judéo-chrétien ?
Je ne peux que les encourager à se retrouver avec leurs frères juifs autour de la Parole : la Bible et les Évangiles. C’est très important.

Qu’est-ce qui vous a spécialement marqué, lors du parcours à Paray-le-Monial, l’été 2018 ?
J’étais enthousiasmé par ce public qui a faim et soif de la Parole de Dieu. C’est extraordinaire. C’est presque une expérience mystique pour moi. On ressent une présence, LA présence, la Shekina.

Propos recueillis par Laurence de Louvencourt

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