Jubilé : « Soyons des signes concrets d’espérance ! »

© Terre Sainte Magazine.
Marie-Armelle Beaulieu.

Rencontre avec Marie-Armelle Beaulieu
Marie-Armelle Beaulieu est rédactrice en chef de Terre Sainte magazine,
à Jérusalem, où elle vit.

Mon métier et ma position me permettent de fréquenter des personnes de toutes religions et parmi les chrétiens, des personnes de toutes confessions (13 officiellement !). C’est un bonheur de pouvoir aller de l’un à l’autre d’autant plus que la vocation même de Jérusalem est de trouver son unité dans la diversité.

Depuis le 7 octobre 2023, nous vivons dans les ténèbres de la guerre. Avant cette date, Jérusalem était bien sûr déjà parcourue par toutes sortes de tensions. J’ai eu 38 ans pour m’exercer à voir le meilleur de Jérusalem et non le pire…
La première façon de tenir dans l’espérance, ce fut de rentrer dans la prière. Car quoi qu’il advienne, c’est le Christ notre paix. Il fallait le rejoindre, lui, chercher dans sa vie l’issue de sortie de cette obscurité. Il est mort et ressuscité, là. À quelques encablures de mon bureau, il y a tous les lieux de la Passion. Il a fallu retourner spirituellement au calvaire avec le Christ qui a accepté de prendre le péché du monde pour le descendre aux enfers et l’y laisser. Quand on vit à Jérusalem, on
sait que la résurrection, c’est le tombeau vide. Et le fait que le tombeau soit vide nous dit que le Christ n’est pas là parce qu’il est ressuscité !
La deuxième façon de garder l’espérance dans l’horreur de la guerre, comme journaliste obligée de se tenir au courant de tout ce qui se passe, c’est d’apprendre une certaine prudence et distance. Pendant plusieurs mois, j’ai eu de terribles insomnies à cause des images extrêmement dures que j’ai vues et des propos extrêmement choquants que j’ai lus. Aussi, j’ai décidé de ne plus tout regarder, tout lire, tout en continuant en m’informant au plus près.
En résumé, il me faut travailler en priant.

La troisième façon de rester dans l’espérance, c’est de garder l’humilité au cœur. Deux amis l’un, Palestinien, qui vit à Gaza, et l’autre, Israélien, qui a déjà fait trois périodes militaires à Gaza, m’ont aidée à plonger dans les profondeurs de l’âme humaine. Ce sont mes amis, je connais donc leur désir de paix et leur bonté. L’un et l’autre m’ont pourtant confié que par moments,
à leur corps défendant, ils ressentent des pulsions de haine. C’est tellement étranger à ce qu’ils sont ! J’ai été alors saisie d’effroi : « Comment, lui, peut-il céder à de tels sentiments ? » Mais je dois admettre que je ne sais pas, moi, qui ne suis ni Juive, ni Palestinienne, ce qu’une telle peur et une telle souffrance peuvent engendrer dans un cœur. Je dois accepter qu’elles puissent engendrer le pire, y compris chez des gens bien.
La dernière façon de rester dans l’espérance, c’est d’apprendre à poser des gestes concrets. Ainsi, je ne rejette pas ces deux amis malgré leurs pulsions de haine. Je continue à aimer le meilleur d’eux-mêmes pour les aider à guérir le pire d’eux-mêmes.
Mon rôle est de voir la personne qu’ils sont, profondément, et non celle que la situation les fait devenir.

« Oui, nous pouvons vivre ensemble ! »
Beaucoup de gens ordinaires prennent des initiatives assez extraordinaires. À Terre Sainte magazine depuis un an, nous avons créé la rubrique « Reconstruire », pour les évoquer dans chaque numéro. Nous allons ainsi à la rencontre des associations et des personnes qui très vite après le 7 octobre ont dit : « Oui, nous pouvons vivre ensemble ! » Ainsi, Hanna Bendcowsky, Israélienne juive, et John Munayer, chrétien palestinien, appartiennent à la même association, le Rossing center à Jérusalem, qui fait découvrir la réalité palestinienne aux Israéliens juifs. Ils ont décidé de continuer à travailler ensemble malgré tout, et ont toujours ce désir fort de créer du lien entre la culture juive israélienne et la culture palestinienne en Israël. Sur un registre plus politique, il y a l’initiative Standing together (NDLR Se tenir debout ensemble) qui consiste à manifester, à affirmer que l’on veut vivre ensemble.
Toutes ces associations, qu’elles agissent par la culture, la musique, la politique, la solidarité, ont en commun de dire : cette terre n’est pas réservée à un peuple, ni l’israélien, ni le palestinien.
C’est notre mission de journal chrétien de mettre en lumière de telles initiatives qui redonnent de l’espérance.

Le cardinal Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem
Sa position est délicate : il est à la fois le patriarche des chrétiens de Gaza, qui ont faim et qui sont reclus depuis un an à 500 dans les bâtiments de l’école ; le patriarche des chrétiens de Cisjordanie qui subissent les exactions des colons, les difficultés économiques, et une pression militaire sans nom ; il est encore le patriarche des Israéliens chrétiens, qui prient la messe en hébreu, aiment leur pays, et ont été touchés dans leur chair par ce qui est arrivé le 7 octobre ; et également d’un certain nombre de chrétiens israéliens servant dans l’armée qui détruit Gaza. C’est le grand écart permanent mais sans reniement. Il fait le pont entre des chrétiens que tout semble opposer. Devant les uns et les autres, son discours est le même. Il est dans l’unité de la foi, de l’espérance, de ce à quoi être chrétien oblige dans une telle situation : travailler en permanence à extirper les réflexes de haine. « L’Église est le seul lieu qui réunit déjà des juifs et des non juifs, des Israéliens et des Palestiniens », m’a-t-il fait remarquer lors d’un entretien récent. « Et en cela, elle est prophétique. »
Il multiplie aussi les discours et les interventions pour pacifier le cœur des chrétiens israéliens ou palestiniens vivant en dehors de Terre sainte, qui prennent souvent parti, et parfois attisent la violence de l’extérieur. Si le débat israélo-palestinien s’apaisait en France, cela serait bon pour les Israéliens et les Palestiniens impliqués dans le conflit. Il a très bien saisi l’importance de ces influences et de parler aussi à ces personnes.
En tant que cardinal, il a également un rôle éminent sur le plan diplomatique. Il est en dialogue permanent avec les Israéliens pour que ceux-ci ne bombardent pas les églises et les écoles chrétiennes de Gaza. Certaines ont malgré tout subi des dégâts importants et même des morts (chez les orthodoxes) du fait de bombardements tout proches.Enfin il agit enfin dans l’ombre avec d’autres pour conserver des liens avec tous et construire
la paix.

La puissance du témoignage des chrétiens
Les chrétiens de Gaza, mais aussi ceux de Cisjordanie, de Bethléem, de Ramallah, de Jéricho… souffrent et sont d’un courage inouï.
La venue du patriarche à Gaza en mai dernier, a été pour eux un moment exceptionnel : il est le seul dignitaire, le seul non militaire ou non humanitaire à s’être rendu dans Gaza depuis un an !
Malgré l’état de ruines dans lequel se trouve Gaza, des gens sont prêts à rester pour maintenir une présence chrétienne. De même
à Bethléem. Nous y avons rencontré récemment un couple de fiancés : ils veulent se marier sur leur terre natale et y élever leurs enfants en dépit de la situation. 75 % de la population chrétienne de Bethléem est au chômage depuis le 7 octobre. Certains ont faim, ou ne peuvent pas se soigner normalement. Malgré cela, beaucoup veulent rester fidèles à leur terre. Non pas dans un esprit d’affirmation nationaliste contre les juifs ou quiconque mais plutôt pour dire : « J’appartiens à cette terre, qui est la terre du Christ. Je ne peux pas l’abandonner. » ¨

Pour aller plus loin :
terresainte.net

« Le premier signe d’espérance doit se traduire par la paix pour le monde plongé, une fois encore, dans la tragédie de la guerre. Oublieuse des drames du passé, l’humanité est soumise à une nouvelle et difficile épreuve qui voit nombre de populations opprimées par la brutalité de la violence. Que ces peuples n’ont-ils pas enduré ? Comment est-il possible que leur appel désespéré à l’aide ne pousse pas les responsables des nations à vouloir mettre fin aux trop nombreux conflits régionaux, conscients des conséquences qui peuvent en découler au niveau mondial ? Est-ce trop rêver que les armes se taisent et cessent d’apporter mort et destruction ? Le Jubilé doit rappeler que ceux qui se font « artisans de paix » pourront être « appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9). L’exigence de la paix interpelle tout le monde et impose de poursuivre des projets concrets. La diplomatie doit continuer à s’engager à créer, avec courage et créativité, des espaces de négociation visant à une paix durable. »
(Extrait de la bulle d’indiction pour le Jubilé de l’espérance, N°8)

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