Sexualité et Église : au-delà des malentendus

À entendre le discours ambiant, amour, sexualité et christianisme ne feraient pas bon ménage… Pourtant, depuis Vatican II notamment, l’Église propose un enseignement très novateur sur le sujet. Explications.

Par François Gonon, prêtre, théologien, formateur et auteur

Dans la Bible
Le thème des épousailles traverse toute la Bible. Dès les premières pages, le récit de la création culmine dans celle de l’humain, homme et femme (Gn 1, 27). C’est ainsi, en cette dignité commune et en cette altérité fondatrice, que l’humain est à l’image de Dieu. L’homme et la femme ont besoin l’un de l’autre et cette altérité est source d’émerveillement comme en témoigne le cri d’admiration d’Adam devant Ève.
Quand nous ouvrons la Bible au milieu, nous tombons sur le Cantique des Cantiques : magnifique poème aux accents érotiques célébrant l’amour passionné entre un bien-aimé et sa bien-aimée. Ce poème a été interprété comme exprimant l’amour passionné entre Dieu et son peuple Israël, puis entre le Christ et son Église ou encore entre l’âme amoureuse et son Dieu mais il célèbre d’abord l’amour corps et âme entre un homme et une femme.
Dans l’Évangile selon saint Jean, Jésus fait son premier miracle lors d’un mariage à Cana, où en transformant l’eau en vin (symbole de l’amour et de la joie), il vient sauver une noce qui sans cela se serait étiolée.
Enfin le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, se termine par les noces de l’Époux et de l’Épouse, avec cette parole de l’Épouse adressée à son Époux : « Viens ! »

Dans l’Église
Si l’on peut repérer dès le début de l’histoire de l’Église des courants présentant une approche négative du mariage et de la sexualité, d’autres en expriment heureusement une vision positive pleinement conforme à celle de la Bible. Tertullien affirme ainsi : « Quel couple que celui de deux chrétiens, unis par une seule espérance, un seul désir ! Rien ne les sépare, ni dans l’esprit ni dans la chair ; au contraire, ils sont vraiment deux en une seule chair. Là où la chair est une, un aussi est l’esprit. »
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Saint Paul VI
En 1968, saint Paul VI publie l’encyclique Humanae vitae. L’histoire est bien connue. Contre les conclusions de la commission majoritairement favorable à la contraception, Paul VI y reconnaîtra un acte « intrinsèquement déshonnête » (HV 14) en vertu du « lien indissoluble entre union et procréation », nous dirions aujourd’hui entre « plaisir et vie ». L’encyclique fut très mal reçue aussi bien par le monde que par une très grande partie de l’Église.
Outre un calendrier malheureux – le texte paraît en plein été 1968 sans être accompagné –, cette encyclique courageuse et prophétique souffrait aussi de limites dans sa formulation. Pourtant, au-delà de ces faiblesses, le cœur de l’enseignement était prophétique. Un demi-siècle plus tard, les affirmations de ce texte incompris n’en paraissent que plus providentielles pour des raisons tant humaines, psychologiques, physiologiques que spirituelles et écologiques. Car ce qui était en jeu derrière un langage quelque peu déroutant n’était rien d’autre qu’un véritable chemin de sainteté conjugal et familial au service des époux. Un chemin les respectant infiniment et les impliquant pleinement dans la connaissance partagée de leur corps et de leur âme.

Saint Jean Paul II
À peine élu pape en 1978 et peiné par le rejet de l’encyclique Humane vitae, saint Jean Paul II n’aura de cesse de la faire mieux comprendre. Pour cela, il élaborera dès 1979, à partir d’une argumentation plus personnaliste et biblique, une catéchèse absolument novatrice sur le mariage, le corps et la sexualité. Cet enseignement colossal est désormais connu sous le nom de « théologie du corps ».
Parallèlement, il publiera en 1981 l’exhortation apostolique Familiaris consortio, sur les tâches de la famille chrétienne. Il y transmettra, dans la ligne de ses catéchèses, un enseignement lumineux notamment en réinscrivant la question de la régulation des naissances à l’intérieur d’une ample vision de l’amour humain. Notons à ce propos l’introduction, pour la première fois dans un texte magistériel, de la notion de loi de gradualité (FC 34). S’il faut exclure toute gradualité de la loi puisque le bien exprimé par la loi vaut pour tous, il existe une loi de gradualité inhérente à la condition historique de l’homme. Si le bien est bien, chaque être humain se dirige vers lui à un rythme différent : l’être humain « connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d’une croissance » (FC 34).
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Benoît XVI
Benoît XVI est élu en 2005. Sa porte d’entrée est celle des vertus théologales avec trois encycliques sur la foi, l’espérance et la charité. Il choisit de commencer par l’amour avec Deus caritas est. Il y montre comment le fait que Dieu soit Amour – à la fois éros et agapè – transforme l’amour humain en toutes ses dimensions, volontaires, rationnelles, mais aussi affectives et érotiques. Cette considération positive de l’éros, aussi bien en Dieu qu’en l’homme, est tout à fait novatrice, le terme n’apparaissait d’ailleurs pas dans les encycliques de ses prédécesseurs. Par sa manière tout à fait originale d’expliciter les vertus théologales, Benoît XVI manifeste avec clarté comment la morale n’est ni première ni dernière et ne dépend pas d’abord de nos efforts. Elle découle de la grâce de Dieu. C’est lui qui nous donne la force d’agir conformément à sa volonté, pour notre accomplissement et notre joie.

François
Avec Amoris laetitia, François propose un texte remarquable. Jamais l’enseignement sur le mariage et la famille n’avait été exprimé par l’Église en termes si concrets unifiant les dimensions humaines et spirituelles, psychologiques et théologales dans des mots audibles par tous. François porte un regard réaliste reconnaissant les ombres et les lumières inhérentes à toute vie conjugale et familiale. Comme il est libérant de reconnaître que « les familles parfaites n’existent pas » (AL 135) ! C’est au cœur de ces limitations que François invite à discerner l’œuvre de la grâce de Dieu qui nous entraîne sur un chemin de croissance et de perfectionnement.
Quand il aborde le champ des « sentiments et de la sexualité » (AL 142), François le fait délicatement mais sans fausse pudeur. Il développe les approches de ses prédécesseurs sur la nature affective et érotique de l’amour, sur le désir, le plaisir et leurs expressions concrètes. La place accordée aux caresses et à la tendresse marque la nouveauté de l’approche de François. Tout comme son insistance sur la joie qu’il distingue du plaisir, sur la beauté de l’amour et l’importance de l’amitié dans la vie conjugale. Cette approche positive de la sexualité n’en n’ignore pas les difficultés, voire les perversions. Il y a donc un important travail d’humanisation et de conversion à accomplir. Celui-ci s’opère grâce à l’éducation aux vertus morales, à l’accompagnement et au discernement. Trois notions clé chez François qui invite les pasteurs (et tout le peuple de Dieu) à aider les personnes à discerner, là où elles en sont, la petite part de bien qu’elles sont capables de faire, même dans des situations dites “irrégulières” (divorcés remariés, concubinage, etc.). Il y a toujours un bien possible à faire au milieu des limites et des conditionnements.
Les enseignements de ces différents papes se complètent. Chacun, dans son style propre, à l’écoute de l’Esprit Saint et des signes des temps, déploie l’enseignement de ses prédécesseurs.

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